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07.01.2020 • 15 minutes
Cet article représente la première partie d’une analyse essentielle de dix énoncés pseudoscientifiques, dans le domaine des sciences cognitives appliquées au monde de l’apprentissage et de l’éducation. Notre ambition est de nous concentrer sur des légendes urbaines moins connues et plus nuancées. Cela signifie qu’elles sont parfois aussi les plus difficiles à surmonter pour les enseignants et les experts en technologie de l’éducation. L’article du mois prochain poursuivra et conclura cet exposé.
Réfuter les mythes est une tâche difficile et les tentatives simplistes risquent de se retourner contre elles. Le “Debunking Handbook” (disponible gratuitement en Anglais ici) donne un aperçu efficace des raisons pour lesquelles c’est le cas.
C’est pourquoi nous mettons l’accent sur les énoncés scientifiques plutôt que sur les mythes eux-mêmes pour améliorer la rétention du lecteur. De plus, différents publics peuvent avoir besoin de différentes quantités d’informations : en raison de contraintes d’espace, nous proposons le niveau d’explication le plus simple et fournissons au lecteur quelques références s’il souhaite aller plus loin dans une direction particulière.
Les livres écrits par Pedro De Bruyckere, Paul A. Kirschner et Casper Hulshof, “Urban Myths about Learning and Education” (2015) et sa suite directe “More Urban Myths About Learning and Education” (2019), sont d’excellentes lectures sur le sujet. Le résumé ici présenté est extrêmement redevable à ces auteurs.
Dire que les gens ont une stratégie d’apprentissage préférée est une observation banale et n’a pas d’impact révolutionnaire. Cependant :
Cela ne veut pas dire que certaines personnes n’apprendront pas avec plus de facilité une liste de mots écrits, par exemple. Mais personne n’a de mal à apprendre les mots écrits, mises à part à cause de pathologies.
Cela signifie-t-il que tous les élèves sont égaux et doivent être traités de la même façon ?
Encore une fois, non : ce que dit la recherche, c’est tout simplement que les styles d’apprentissage ne sont pas une théorie de l’enseignement et devraient être ignorés relativement à ce but.
Dans l’Apprentissage Par Problèmes, on demande aux élèves de travailler en petits groupes d’une dizaine de personnes. En bref, leur but est de résoudre un problème ou d’accomplir une tâche sous la direction d’un tuteur.
La discussion entre pairs et l’auto-apprentissage échelonné dans le temps sont au cœur de cette méthode d’apprentissage promue par certaines universités. Cette approche pose cependant des problèmes.
La mémoire de travail humaine (ou à court terme) est limitée en durée et en capacité :
Pour du nouveau contenu, la résolution directe de problèmes est un processus extrêmement exigeant en termes de ressources, qui n’aide même pas à généraliser les méthodes permettant d’atteindre des objectifs similaires.
A contrario, si la résolution de problèmes est appliquée à des connaissances préexistantes, les schémas existants sont correctement exploités par la mémoire de travail, et comptent comme un seul élément.
Par conséquent, apprendre à résoudre certains problèmes et la capacité à résoudre de problèmes sont des compétences différentes.
Vous cherchez des alternatives ? Les problèmes “goal-free”, les exemples résolus et les exercices de complétion sont beaucoup plus compatibles avec les besoins de la mémoire de travail. Ils apportent des preuves écrasantes qu’ils sont efficaces pour développer la capacité à résoudre de nouveaux problèmes dans un domaine donné6.
Se souvenir de ce que l’enseignant a dit ou appris dans le passé est un élément essentiel de l’éducation. La mémoire est un mécanisme complexe.
Selon la plupart des théories cognitives7, la mémoire se divise en :
Les adultes prétendant avoir une “mémoire photographique” tout en ayant été rigoureusement testés8 est un sujet controversé9. En général, la mémoire humaine est pleine de défauts:
La relation entre l’intelligence (mesurée par le QI) et la créativité n’est pas facile à étudier. Certains chercheurs prétendent que génie et créativité sont synonymes, que tout le monde est né génie créatif et que l’école ruine ce potentiel10.
Des recherches récentes montrent cependant que les enfants ne naissent pas nécessairement créatifs : au contraire, il existe une corrélation intéressante entre le jeu de simulation à un certain âge et la créativité mesurée plus tard11.
Chaque fois qu’une “baisse” de créativité se produit, vers 9 ou 10 ans par exemple, ce n’est pas à cause de la structure rigide du système scolaire, mais plutôt à cause des processus normaux de développement, les enfants entrant dans une phase “littérale” ou “traditionnelle” de pensée et d’intelligence morale12.
L’école pourrait certainement faire plus d’efforts pour encourager la pensée créative, mais les recherches disponibles ne montrent pas que l’élimination du système éducatif améliorerait la créativité de chacun.
La créativité exige toujours un haut degré de connaissance dans un domaine, et les écoles restent essentielles pour fournir ces compétences.
Les trente dernières années ont été témoins d’un nombre incroyable de nouvelles possibilités technologiques. La popularisation des ordinateurs personnels et de l’accès à Internet a-t-elle eu le même effet sur l’éducation que celui sur la société ?
Cela ne semble pas être le cas : soixante ans d’études comparatives confirment que c’est la pédagogie, et non le médium, qui influe sur la façon dont les étudiants apprennent13. Plus précisément, ce qui compte, c’est la qualité de l’enseignement et la façon dont il est véhiculé par un média donné14.
Par exemple, si l’on propose du contenu sous forme de diapositives et de support textuel, le fait de proposer le concept clé d’une diapositive dans l’en-tête permettra de mieux apprendre, par rapport à ne pas le faire, mais cet effet demeure vrai pour différents médias. L’apprentissage mobile, par contre, a un effet positif sur la motivation à continuer à apprendre15.
Lorsqu’un gain positif est démontré par des études, il résulte généralement d’une bonne utilisation de la technologie avec un bon enseignement. En effet, l’apprentissage mixte, c’est-à-dire l’apprentissage en ligne couplé à l’éducation par contact direct, donne de meilleurs résultats que les méthodes traditionnelles16.
Si la technologie est utilisée comme outil d’auto-découverte, elle profite encore une fois aux étudiants ayant un niveau élevé de connaissances préalables.
En résumé, les ordinateurs et le soutien numérique peuvent certainement être utilisés de la manière la plus créative possible, mais ils devraient être utilisés pour compléter et renforcer ce que fait l’enseignant, et non pour le remplacer.
Aucune des affirmations concernant la spécificité des “natifs du numérique” (définis comme des jeunes qui ont été immergés dans la technologie toute leur vie) n’est étayée par des preuves. À ce titre :
Le concept de “natif du numérique” est une catégorie inexistante et ne devrait jamais être utilisé.1 L’existence d’une nouvelle génération d’étudiants ne peut être utilisée comme une motivation pour introduire des outils numériques dans l’éducation. Les technologies utilisées pour la communication, la socialisation, le divertissement ou le développement personnel (tous étant couverts par les compétences informatiques de base), ne répondent pas automatiquement aux besoins d’une éducation efficace.2
Bien sûr, l’Internet et les outils numériques ont certainement leur place dans la salle de classe. Ils ne peuvent pas non plus être ignorés : le monde de l’éducation doit garder des liens avec le monde réel. Cependant, les nouvelles technologies doivent être utilisées pour des raisons valables de contenu et de didactique.
L’une des légendes urbaines répandues même par des professeurs renommés est que l’activité cérébrale des étudiants pendant les cours traditionnels est la même que lorsqu’ils regardent la télévision : tout simplement morte. Il s’avère que l’étude citée3 ne mesure pas l’activité cérébrale, mais plutôt l’activité électrodermale (c’est à dire l’activité électrique enregistrée à la surface de la peau). Pire encore, cette mesure a été effectuée sur un seul élève, invalidant toute conclusion significative sur une population générale.4
Cela dit, les cours magistraux jouent un rôle clé dans l’éducation, et sont parfois très efficaces. Mais la plupart du temps, ils font dériver l’attention du public. Les élèves ayant le moins de connaissances préalables et qui ont moins de repères (c’est-à-dire ceux qui ont le plus besoin des bienfaits de la scolarisation) sont malheureusement les premières victimes de cet effet. Maintenir l’intérêt et l’attrait des élèves est peut-être le plus grand défi pour un enseignant.
Les quiz pendant les cours sont connus pour augmenter l’efficacité de ces derniers, car ils font appel à des mécanismes bien connus tels que l’effet de test et la pratique de récupération. Les quiz permettent également de réduire de 50 % l’écart de performance entre les étudiants issus de milieux socioéconomiques différents.5
Dans une classe inversée, les élèves découvrent de nouveaux sujets à la maison, en lisant leur manuel ou en regardant une vidéo ; le temps de classe est alors consacré à la discussion et à la résolution de problèmes.
Malheureusement, il y a très peu de preuves que le retournement dans l’éducation est bénéfique. D’autres études sont nécessaires avant de pouvoir tirer des conclusions. Plusieurs risques sont associés à cette méthode6 :
Les recherches montrent cependant que la combinaison des options en ligne et hors ligne conduit à de meilleures performances, mais cela pourrait simplement concerner de meilleurs étudiants qui vérifieraient grâce au contenu en ligne ce qu’ils ont appris en présentiel.7
L’interaction physique semble toujours être vitale dans le cadre éducatif, et en résumé, il est difficile de conseiller aveuglément aux enseignants d’enregistrer leurs leçons. De nombreux facteurs doivent être pris en compte (le sujet, le public, la qualité des leçons en ligne, etc.), et tous n’ont pas été correctement étudiés.8
Parfois, des idées simplistes sont appliquées à l’éducation et deviennent des recommandations officielles. Les décideurs politiques peuvent fonder leurs décisions sur des indicateurs qui ne permettent pas d’identifier la causalité. Par exemple, il existe certainement des corrélations entre le niveau d’apprentissage et le nombre d’heures passées à l’école, mais aucun autre lien n’est connu.
Lorsque le Mexique et l’Allemagne ont augmenté le nombre d’heures de cours, le résultat a été décevant :
Pourquoi cela s’est-il produit ? En bref, outre le fait que ce qui se passe pendant les heures supplémentaires fait partie de l’équation, l’augmentation du temps de classe ne profite pas à tout le monde de la même manière. Les élèves au capital social plus important bénéficient de leur bagage supplémentaire, de stimuli et d’aide à la maison. La seule façon de compenser cet écart semble être d’allouer des ressources supplémentaires aux élèves qui en ont spécifiquement besoin.11
En outre, nous soulignons une fois de plus que le temps passé en dehors de l’école et des études est bénéfique pour le processus d’apprentissage. En effet,
tous conduisent à un meilleur apprentissage.
Les facteurs qui contribuent ou non à l’apprentissage sont particulièrement difficiles à étudier, la raison principale étant que tous les facteurs (l’expertise de l’enseignant, les aptitudes individuelles de l’élève, l’environnement familial, les pairs, les écoles et les directeurs) se répercutent les uns sur les autres de nombreuses manières différentes. Mais prétendre que l’enseignant a le plus grand impact sur les élèves (30% étant même une surestimation) est certainement un mythe.12
En fait, il y a trop de choses qui échappent au contrôle d’un enseignant :
Toutefois, cela ne constitue pas une excuse pour que les enseignants perdent espoir ou ne continuent pas à faire de leur mieux. Leur impact est certainement positif. Les enseignants experts font une différence car lorsqu’ils en sont capables :
Auteur(e)
Florian Zenoni
Florian est un Data Scientist et rédacteur chez Wooclap.
Thématique
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